Des chercheurs ont développé un algorithme pouvant prévenir le risque de suicide chez certaines personnes

En temps de crise, de nombreux facteurs peuvent participer à un état émotionnel dégradé : en témoigne la façon dont la pandémie de Covid-19 a eu de larges effets sur la santé mentale à l’échelle mondiale, tout en accentuant les problèmes déjà existants. La peur de la maladie, l’isolement, la précarisation ou encore le ralentissement de l’économie – entre autres - ont participé à fragiliser l’état psychologique de la population.

"Les travaux réalisés par le biais des enquêtes menées auprès de la population confirment le contrecoup des confinements sur l’accroissement de la prévalence de troubles du sommeil, de symptômes anxieux, de symptômes dépressifs, ainsi que de symptômes persistants associés à un stress post-traumatique", comme le décrit le dossier santé mentale dans le contexte de la Covid-19 de Santé Publique France.

C'est la raison pour laquelle les équipes du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert-Debré Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP), de la direction des services numériques de l’AP-HP et de l’Institut Pasteur ont estimé qu'il y avait un besoin urgent de surveiller la santé mentale d'une partie de la population lors d'une période compliquée, en se basant sur la dernière crise sanitaire.

Le but étant, à terme, de cibler les groupes les plus à risques afin d'adapter les campagnes de prévention. Leur étude, publiée le 14 février 2024 dans NPJ Mental Health Research, révélait que, grâce à un algorithme d’intelligence artificielle, les données de millions de documents d’hospitalisation ont pu être analysées. De là, l'équipe de chercheurs a pu identifier de nouveaux facteurs de risque de suicide, dans des groupes ciblés.

SUICIDE : UN ALGORITHME POUR REPÉRER LES POPULATIONS À RISQUE

Afin d’identifier les groupes de la population d’Île-de-France les plus à risque en termes de santé mentale lors d’une période de crise, comme la pandémie de Covid-19, les chercheurs français ont mis au point un algorithme d’intelligence artificielle, développé par le data scientist Ariel Cohen, du Pôle Innovation et Data, Direction Informatique à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP). 

Les chercheurs ont donc étudié la dynamique des tentatives de suicides avant le déclenchement de la pandémie (du 1er août 2017 au 29 février 2020) et pendant sa propagation (du 1er mars 2020 au 31 juin 2022).

L’algorithme a ainsi observé des millions de dossiers d’hospitalisation provenant de quinze hôpitaux différents de l’AP-HP et a développé et validé des indicateurs de surveillance liés à la tendance suicidaire : le nombre mensuel d'hospitalisations provoquées par des tentatives de suicide et la prévalence parmi celles-ci de cinq facteurs de risque connus :  l’isolement social, les antécédents de tentatives de suicide, les violences domestiques, physiques ou sexuelles.

Grâce à la fonction de traitement de textes, cet outil a dénombré plus de 14 000 admissions à l’hôpital liées à une tentative de suicide.

Puis, l'équipe de chercheurs a mené une étude rétrospective prenant en compte le nombre mensuel de tentatives de suicide hospitalisés dans une quinzaine d'hôpitaux de la région parisienne, avant et après l’épidémie de COVID-19 et évalué s'ils avaient détecté la montée désormais établie de cet indicateur chez les jeunes et en particulier les filles. Enfin, ils ont mené "une analyse exploratoire pour estimer si des informations supplémentaires sur les mécanismes sous-jacents à l'origine de cette poussée pourraient être obtenues en détectant les facteurs de risque mentionnés dans les rapports cliniques", explique l'étude.

CIBLER DES GROUPES PLUS À RISQUE POUR ADAPTER LES CAMPAGNES DE PRÉVENTION FUTURES

L’étude visait non seulement à comprendre les effets d’une crise sanitaire sur la santé mentale d’une population particulière, mais aussi à cibler des groupes plus à risque afin d’adapter les campagnes de prévention à l’avenir et mieux prendre en charge les patient.es.

Leurs résultats ont notamment montré une résurgence des tentatives de suicides chez les femmes et ont identifié les violences, physiques et sexuelles comme facteurs de risque. "Bien qu'un lien direct entre le confinement et la violence imposée aux femmes n'ait pas été établi dans notre étude, nos résultats ont souligné que cette période était critique pour la sécurité des femmes et a entraîné une exacerbation des tentatives de suicide immédiatement après la pandémie", précise l'étude.

Les chercheurs ont pu déterminer, grâce à ces données, que les actions visant à prévenir les tentatives de suicide chez les filles et les jeunes femmes "doivent inclure des mesures visant à les protéger de la violence : remettre en question les normes et attitudes discriminatoires en matière de genre qui tolèrent la violence à l'égard des femmes, réformer les lois discriminatoires sur la famille, promouvoir l'accès des femmes à un emploi rémunérateur et à l'enseignement secondaire, réduire l'exposition à la violence pendant leur vie et l'enfance et lutter contre la toxicomanie".

Leurs analyses ont d'ailleurs pu déterminer que "la variété et la proportion des méthodes utilisées pour tenter de se suicider étaient similaires au fil du temps, mais elles présentaient un plus grand nombre de surdoses intentionnelles de drogues chez les femmes", ce qui pourrait également être un facteur de prévention futur.

ALGORITHME : UNE PISTE À APPROFONDIR POUR PRÉVENIR LES PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE

Les chercheurs ont conclu que l’algorithme pouvait détecter efficacement les tentatives de suicide et ses facteurs de risque connus, mais ont précisé que la méthodologie de cette étude pourrait être étendue afin d’extraire des informations liées à la consommation de soins (médicaments, visites antérieures) et ou à des déterminants socio-économiques (chômage, type de logement…).

"À l’avenir, l’application prospective de ces algorithmes pourrait nous permettre de calculer des indicateurs de santé mentale en temps réel qui compléteraient les outils épidémiologiques de surveillance déjà disponibles", espèrent les chercheurs.

Elle pourrait aussi être utilisée afin de mieux prévenir les tentatives de suicide en général. Les chercheurs concèdent toutefois que le champ d’analyse a été réduit aux hospitalisations, donc aux tentatives de suicide déclarées, potentiellement les cas les plus graves. 

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